Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/265

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— Monsieur Armand, lui dit Sallenauve, vous êtes venu me signifier l’autre jour à Ville-d’Avray que mon mariage avec madame votre mère n’avait pas votre approbation…

— Comment ! interrompit madame de l’Estorade, il a osé !

— La jeunesse ose tout aujourd’hui ! reprit Sallenauve ; c’est pour cela qu’il lui faut de vertes leçons et que je prends résolûment ici tous mes avantages. Ce mariage qui vous déplaisait, continua-t-il en s’adressant à Armand, je le tiens maintenant pour impossible, mais cela par des considérations toutes différentes de celles que vous aviez bien voulu prendre la peine de faire valoir auprès de moi.

— Mais quelle était la nature de ces considérations ? demanda vivement la comtesse.

— Oh ! dit Bricheteau, que M. de Sallenauve ne remplacerait pas dignement M. le comte de l’Estorade ; que le susdit Sallenauve avait une fort mauvaise renommée ; qu’il faisait manquer le mariage de mademoiselle Naïs avec M. de Restaud, et qu’enfin on lui passerait son épée au travers du corps, s’il se permettait d’insister.

— Vous, Armand, de pareils procédés avec monsieur ! s’écria la comtesse ; après ce qu’à une autre époque il avait fait pour vous !

— Ma mère, répondit Armand, je suis encore plus coupable que vous ne pouvez le penser. Pour éviter une lutte avec moi, et en même temps pour n’avoir pas l’air de la craindre, monsieur s’est cru dans la nécessité de réveiller ses anciens démêlés avec M. de Trailles, et il y a une heure, il exposait sa vie contre lui.

— Mais, malheureux enfant, dit madame de l’Estorade en joignant les mains avec épouvante, si ce qui était possible était arrivé !

— Le ciel n’a pas permis, répondit Armand, que ma punition fût poussée à ce point. Au lieu du malheur que j’avais préparé, il a donné à l’ami, au sauveur de toute notre famille, l’occasion de faire éclater cette grandeur d’âme que moi seul ici j’avais méconnue. Jamais homme, me disait tout à l’heure mon ami la Bâstie, qui avait entendu raconter les circonstances du duel par M. de Ronquerolles, ne mena une rencontre d’une façon plus géné-