Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/278

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carats, et d’une eau sans reproche, cette précieuse pierre est grevée de substitution, comme cela se pratique en Italie, même pour les statues et les tableaux ; en d’autres termes, elle ne peut être valablement vendue, puisque celui à laquelle elle parvient par héritage, doit la conserver et la rendre par la même voie à son successeur.

— Nous savons ce que c’est qu’une substitution, dit Bricheteau, qui avait été exécuteur testamentaire de lord Lewin, et qui se piquait de savoir les affaires.

— Malheureusement, reprit Vautrin, si ce superbe grenat ne pouvait être vendu il pouvait être volé, et c’est ce qui arriva chez le joaillier qui avait été chargé de le monter à neuf. Vous comprenez l’émoi du bijoutier et du propriétaire. La police est aussitôt sur pied ; mais, après beaucoup de recherches, rien.

— C’est tout simple, dit Bricheteau, le voleur, sans doute, était déjà bien loin.

— Je suis, continua Vautrin, probablement plus facile à découvrir que les pierres précieuses, car la police lombardo-vénitienne, qui n’avait pas su retrouver le bijou, avait très bien flairé, sous mon nom de M. Jacques, le fameux Saint-Estève de Paris. Un matin, le chambellan du prince m’adresse un petit billet poli, en m’engageant à passer au palais où est logé son auguste maître.

« Monsieur Saint-Estève, me dit brusquement le prince, sans marchander avec mon incognito, vous savez le vol dont je suis victime. Messieurs de la police vous ont désigné à moi comme étant le seul homme, après leurs efforts restés inutiles, qui ait la chance de me faire retrouver mon grenat. Voulez-vous tenter l’entreprise ? Il n’est pas de récompenses auxquelles vous ne puissiez prétendre, si vous réussissez. » La mission acceptée, j’étudie l’affaire, et, au bout de trois jours, je rapporte au prince l’objet de ses anxiétés.

— Mais qui était le voleur ? demanda Bricheteau.

— Le joaillier, dit tout bas Vautrin ; après quarante ans d’une probité à toute épreuve, il avait compté que personne ne soupçonnerait la tentation à laquelle, comme un autre Cardillac, il avait succombé.

— Alors il a été pendu ? demanda l’organiste.

— Du tout, je lui ai fait grâce ; ce n’était pas un mal-