Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/59

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— Eh bien ! dit Sallenauve, maître Achille Pigoult n’est pas homme à vous refuser son ministère ; voulez-vous que je l’avertisse ? mon intention est de le voir dans la journée.

— Très bien ; faites-le-moi venir ; mais à qui laisserai-je mon bien ? Je n’ai plus de parents ; j’avais une sœur, une nièce ; tout cela, depuis des années, est à tous les diables. Je n’ai plus qu’une nuée de petits cousins éloignés qui se disputeraient comme une meute pour les partages.

— Mais, s’il en est dans le nombre que la fortune n’ait pas bien traités, vous pourriez disposer en leur faveur.

— Merci ! dit Laurent Goussard, c’est comme de donner aux communautés et aux hospices ; ça n’entre pas dans mes principes : je veux que mon bien soit en mains dont je sois sûr, et qui ne s’en serviront pas à nourrir des fainéants, des économes. Si la mère Marie-des-Anges n’avait pas l’air de passer devant moi, en voilà une que j’aurais eu plaisir à faire mon héritière ; mais je sais quelqu’un auquel je puis laisser aussi sûrement qu’à elle, et, quand je lui en ai parlé, elle m’a dit, ce sont ses propres paroles : Vous avez là, mon bon Goussard, une excellente inspiration.

— Il me semble pourtant, dit Sallenauve en insistant, qu’à moins de griefs, très graves, les héritiers naturels sont toujours convenablement choisis.

— Oui ; mais moi, j’en veux un de surnaturel, et votre ressemblance avec mon pauvre Danton est si extraordinaire !…

— Comment ! dit Sallenauve, c’est moi que vous avez en vue ?

— Si vous le permettez, et j’ose croire que vous ne me ferez pas l’affront de me refuser.

— Pourtant !

— Il n’y a pas de pourtant ; je sais que vous êtes riche et que ce n’est pas deux cents pauvres mille francs qui paraîtront beaucoup dans votre grande fortune ; c’est ce qui me va ; vous dépenserez cet argent dans le pays, suivant les intentions du testateur, que je n’écrirai pas, mais que je vous dis de la bouche à la bouche. J’aime mieux ça que de laisser mon bien à la commune, pour qu’il