Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/88

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mancier assez distingué pour avoir inventé les nombreux incidents de ce drame, et, dans tous les cas, M. Jacques Bricheteau, auquel vous ne manquerez pas de parler de notre entrevue, est en mesure de vous confirmer ma véracité.

— Mais, monsieur, voir l’écriture de ma mère, vous me refusez jusqu’à cette consolation, et, en vérité, vous faites plus qu’abuser d’une propriété dont honnêtement vous n’avez pas l’usage.

— Cher monsieur, dit Rastignac, n’amenons pas l’aigreur dans une rencontre où jusqu’ici tout s’est passé avec bon goût et courtoisie, et, au lieu de perdre le temps à vous créer des émotions pénibles, parlons plutôt, pour clore cette longue séance, des déterminations que semble commander la connaissance aujourd’hui complète de tous les événements de votre vie.

— Mais vous-même, monsieur, je vous le demanderai, quel usage entendez-vous faire de ces étranges découvertes ?

— Je vous l’ai dit déjà : ce qui me conviendrait le mieux, c’est que vous voulussiez bien accepter une part dans l’œuvre conservatrice que poursuivent d’un commun accord et le chef de l’État et le ministère qu’il honore de sa confiance.

— Mais, dit vivement Sallenauve, je suis plus que vous conservateur ; car j’offre à la dynastie le moyen de se sauver, et ses instincts de gouvernement individuel la mènent droit à sa perte.

— Ce n’est pas là la question. Vous nous permettrez d’entendre notre politique à notre manière, et je vous demande, pour aller droit au fait, si je puis compter qu’au commencement de la session prochaine, vous vous déciderez à faire à la tribune un acte éclatant d’adhésion à nos principes ; le lendemain de cet heureux jour, toutes les pièces tombées en mes mains vous seraient religieusement remises.

— Vous savez bien, monsieur, que cela est impossible : la flétrissure dont vous me menacez ne sera pas de mon fait : déshonoré par vos soins, à mes yeux je n’aurai pas cessé d’être honorable ; j’aime mieux l’estime de moi-même et l’injuste mépris d’autrui.