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le sang de la coupe

Elles songent parfois, quand refleurit la mousse,
Aux humides baisers de leurs jeunes amours,
Aux blanches nuits de juin qu’abrégeaient cent discours,
Et même, quand la brise en feu souffle plus douce,
À ces enfants qui, morts pour elles pleins de jours,
Dorment dans une terre inculte où l’herbe pousse.

Mais, ô mon cœur ! pourquoi se souvenir des morts ?
Disent-elles. Mon sein gonfle d’orgueil la soie.
Le peigne aux mille dents tremble en baisant les ors
De mes cheveux touffus dont le flot se déploie,
Et la naïade en pleurs frémit toujours de joie
En touchant au matin les blancheurs de mon corps.

Mes amants, beaux toujours quoique l’Amour s’enfuie,
Ce sont tous ces joyaux que mon haleine essuie,
Ces mille diamants en lys épanouis,
Ces colliers de sequins, ces ducats, ces louis
Si beaux qu’en les voyant on dirait une pluie
De soleils amoureux de mes yeux éblouis.

Les jeunes hommes, fiers de voir blanchir leurs têtes,
Sont enivrés d’orgueil, comme autrefois de vin.
Amour, ce n’est plus toi, flambeau clair et divin,
Qui baignes de tes feux les roses de leurs fêtes.
Qu’importe, disent-ils, ce mot que les poëtes
Ont fait comme leurs vers harmonieux et vain ?