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le sang de la coupe

La foi, le dévouement, l’honneur et son délire,
Tous ces fiers nourrissons bercés entre mes bras,
La pitié, la vertu, l’héroïsme, le rire,
Le regard de l’épée et le chant de la lyre
Avec moi seront morts, mais tu triompheras !
Et, puisque c’est l’or seul que tu veux, tu l’auras !

L’or vierge ! l’or vainqueur ! Au gré de ta folie,
Tu l’auras ! l’or demain, toujours, partout, encor !
Les placers du Mexique et ceux de l’Australie
Viendront gonfler ta bourse et grossir ton trésor,
Et l’or sera ton pain, ton nectar et ta lie !
Bois donc, voilà de l’or ! mange, voilà de l’or !

Emplis ton coffre, et vends tout ce qui se monnoie !
La tombe et le berceau, le palais et la tour !
Trafique du soleil ! du repos ! de l’amour !
Déchire tout cadavre et flaire toute proie !
Vends les baisers craintifs où j’avais mis la joie !
Vends l’eau de la fontaine et la clarté du jour !

Émiette les forêts, fais de l’or ! Si ton globe
Jusqu’au fond de ses os sent courir un frisson,
Comme un jeune idiot qui tremble dans sa robe,
Que t’importe ! Son cœur peut devenir glaçon ;
N’auras-tu pas ton or, cette sainte moisson
Que tu ranges trop bien pour qu’on te la dérobe ?