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le sang de la coupe

Tes Dieux même, parmi les champs que tu contemples,
Pleureront, l’œil perdu dans les grands horizons,
Et nous fondrons l’argent des autels et des temples
Pour orner, au retour, le seuil de nos maisons.

Ainsi les Achéens aux flottantes crinières
Ayant des monstres d’or sur leurs larges écus,
Exhalaient sans merci les injures dernières,
Et, d’avance, insultaient aux larmes des vaincus.

Mais cependant Calchas, qui lit dans les pensées,
Leur rappelait ainsi, vieillard chargé d’hivers,
La vénération des Muses délaissées
Et le respect des dieux, maîtres de l’univers :

Achéens, disait-il, votre vengeance ailée
Renverse d’un seul coup les bataillons épars,
Et des Dieux, accourus dans la noire mêlée,
Combattent avec vous sur le devant des chars.

Tels les bruyants troupeaux des jeunes centauresses
Font bouillonner d’horreur les flots des lacs fumants,
Vous traînez après vous les Fureurs vengeresses
Et le cortège affreux des Épouvantements.

Tels, quand l’ardent soleil les couvre de brûlures,
Courbés sur les prés verts, les faucheurs en haillons
Avec l’airain poli tranchent leurs chevelures,
Vos glaives éblouis fauchent les bataillons.