Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/75

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Il vit qu’au résumé la pente était fort douce,
Et les pierres d’en haut recouvertes de mousse.
Il alla donc trouver Judith, et lui fit part
De l’idée. On pouvait assiéger le rempart.
L’enfant sourit tout bas, baissa sur les étoiles
De ses pudiques yeux l’ébène de leurs voiles,
Et dit que là-dessus il fallait éclairer
La sous-maîtresse, afin que l’on fît réparer
La muraille. Tu vois qu’ils étaient loin de compte.
Prosper à ce mot-là devint rouge de honte.
Puis vinrent les serments, les larmes, les combats.
Elle écoutait si bien, et lui parlait si bas,
Qu’à peine si la brise avec ses ailes d’ange
Emporta quelques mots de ce céleste échange.
— ― Vous me faites mourir, Monsieur ! ―― Venez ici !
— ― Non, je te hais ; va-t’en ! ―― Vous croyez ? Grand merci !
— ― Et mon honneur, Monsieur ! Un mur ! la belle histoire !
— ― Je t’aime ! ―― Taisez-vous, démon ! ―― Un bras d’ivoire !
— ― Mais je n’y viendrai pas. ―― Des yeux à s’y noyer !
— ― Vous mentez, vous ! ―― Je t’aime ! ―― Oh ! le beau plaidoyer !
Ici la brise encor passa mystérieuse,
En courbant les rameaux du saule et de l’yeuse.
— ― On peut, sans être vue, en un sombre peignoir…
— ― On ne peut pas, Monsieur ! ―― S’échapper du dortoir.
— ― Je ne t’écoute plus. ―― Enfant ! ―― Oh ! dis, toi-même,
Non, tu ne voudrais pas me perdre ainsi ! ―― Je t’aime.
Ces pauvres amoureux n’ont pas d’autre raison !
Celle-là, par bonheur, est toujours de saison.