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LES EXILÉS

Le vaste flot poudreux qui lui fouettait la face
Et dans l’air ébloui continuait sa chasse,
Fondant comme un milan sur quelque oiseau ravi,
Et tout aise et criant quand l’aigle inassouvi,
Ayant vu sur la terre une proie assez belle,
Descendait de l’azur et s’élançait sur elle,
Et, pour mieux divertir l’enfant malicieux,
L’emportait pantelante au plus profond des cieux.
Souvent encor, parmi les riants groupes d’îles
Éros voguait, porté par de bruns crocodiles,
Apprenant d’eux comment dans les ruisseaux taris,
Cachés par les joncs verts, ils imitent les cris
D’un nouveau-né qui pleure ; il suivait les batailles
Des poissons monstrueux aux luisantes écailles ;
Hôte guerrier du fleuve, il nageait sur ses bords
Près des chevaux marins et des alligators,
Ou parfois, se cachant dans une île écartée,
Penchait ses yeux ravis sur l’onde ensanglantée.
Enfin il se lassa de ces monstres soumis.
Ayant pensé qu’ailleurs de puissants ennemis
Pourraient occuper mieux sa bravoure et ses charmes,
Il voulut se munir de véritables armes
Pour secouer l’ennui d’un repos importun,
Et, quoiqu’il n’eût jamais vu d’arc, il en fit un.
Il cueillit une branche avec soin, lisse, droite,
Plus dure que l’airain, et de sa main adroite
La courba ; puis tressa des fibres, dont il fit
Une corde, et, mettant le désert à profit,