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LES EXILÉS


Et quand viennent les jours d’été, blancs et féeriques,
Les sculpteurs amoureux des symboles anciens,
Les peintres éblouis, les poètes lyriques,
Les chanteurs vagabonds et les musiciens

Songent sans désespoir au marbre funéraire
De ce martyr d’amour beau comme Alaciel,
Et disent : Parfumez l’âme de notre frère !
Aimez-le, fleurissez pour lui, roses du ciel !

Et ce troupeau toujours blessé, les amoureuses,
Qui se donnent en rêve à cet homme indompté
Et relisent ses vers dans leurs heures fiévreuses
Avec les longs frissons de l’âcre volupté,

Et le mendiant, fils de gueux, qui s’extasie
De voir briller l’Aurore en son riche appareil,
Et qui sur ses haillons, comme un prince d’Asie,
Porte joyeusement un habit de soleil,

Et ces divinités mornes sous leur dentelle
Dont les attraits, au lieu de durer deux mille ans,
S’effaceront demain faute d’un Praxitèle,
Et qui n’ont plus d’abri dans les temples croulants,

Et les petits oiseaux donneurs de sérénades
Avec le barde ailé des cieux, le rossignol,
Et les filles d’amour qui vont par les bourgades
Jouer en corset d’or Chimène et doña Sol ;