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LES EXILÉS

Chantent pendant l’été de sonores fontaines.
Un sentier surplombé par des roches hautaines
Y conduit. L’Exilé soucieux le suivit
Jusqu’à cette clairière, et voici ce qu’il vit :
Un fier cheval de race à la noble encolure,
Dans son sang répandu souillant sa chevelure,
Expirait, dévoré tout vivant par des loups.
Ses meurtriers parmi la ronce et les cailloux
Le traînaient. Il n’était déjà plus que morsures.
Ses entrailles à flots sortaient de ses blessures
Et ses pieds éperdus trébuchaient dans la mort.
En vain, de temps en temps, par un horrible effort,
Il secouait par terre un peu des bêtes fauves ;
D’autres monstres, sortis des antres, leurs alcôves,
Se ruaient sur son cou, s’attachaient à ses flancs,
Dans sa chair déchirée enfonçaient leurs crocs blancs
Et se mêlaient à lui dans d’effroyables poses,
Et tout son corps teignait de sang leurs gueules roses.
Enfin, morne, donnant sa vie à ses bourreaux,
Il tomba, les genoux ployés, comme un héros
Qui défie, à l’instant suprême où tout s’efface,
Les spectres de la mort, et les voit face à face.
Sa prunelle effarée et vague interrogea
La nuit ; puis le coursier vaincu, sentant déjà
Que dans ses doux regards entrait l’infini sombre
Et qu’il roulait au fond dans les gouffres de l’Ombre,
Se leva sur ses pieds avant de s’endormir
Pour toujours, et frappant la terre, et, pour gémir,