Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/45

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Ces gueux, plus enroués qu’une meute aux abois,
Ressemblent à des loups qui pleurent dans les bois
Et, parmi ces faiseurs de trilles et de gammes,
Du matin jusqu’au soir grouillent des tas de femmes.
Des fillettes à l’œil déjà noyé d’amour
Sur un rhythme dansant font sonner leur tambour,
Et des vieilles sans nombre aux allures fossiles
Convulsent en chantant leurs faces imbéciles,
Gémissent avec des sanglots et des hoquets
Et portent leurs petits roulés en des paquets.
C’est la procession de tous les monstres. L’une
Montre sur son visage une pâleur de lune
Et, comme un lac, s’argente, et l’autre, au nez camard,
A sur sa joue en feu des rougeurs de homard.
Rien n’est plus effrayant à voir que les structures
Et les corps abolis de ces caricatures ;
Et pourtant, quand leurs voix font leur bruit énervant
Comme les grincements de l’orage et du vent,
Avec leurs fronts hideux que les bises meurtrissent,
Dans leur misère ces chanteuses m’attendrissent
Et sans être offensé de leurs chants criminels,
Je les contemple avec des regards fraternels.
Une surtout, pareille à quelque étrange fée,
Pâle, jaune, recuite et d’un mouchoir coiffée.