Page:Banville - Eudore Cléaz, 1870.djvu/35

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« Quoi donc, dit-il à Saluce, vous si grand peintre déjà, êtes-vous en même temps un tel statuaire !

— Permettez-moi de vous parler de mon frère, répondit Jean Saluce d’une voix douce et grave. L’artiste, peut-être pouvez-vous le juger sur cette œuvre seule, et pourtant je veux vous dire en un mot qu’il est né avec cette intuition, avec cette foi créatrice qui dans les beaux âges de l’humanité a fait des sculpteurs les rivaux des poètes. Henri Saluce, j’ajoute cela bien vite, car il va venir, est l’homme que son talent fait désirer qu’il soit, et je ne sais nulle part un bras plus vaillant que le sien, une âme plus pure que la sienne. Sachez que depuis deux années il vit uniquement pour une affection absolue et profonde, pour une de ces affections qui suppriment les conditions ordinaires de la vie et rendent possibles tous les miracles. Eh bien, mon frère Henri m’aime assez pour m’avoir obéi quand je lui ai imposé la plus dure de toutes les épreuves ; car je n’ai pas voulu que son amour fût connu de celle qui l’a inspiré, avant qu’il fût aux yeux de tous ce qu’il était déjà aux miens, un maître dont son époque acceptera et subira l’influence. Mais Henri vient d’exécuter pour les nouveaux appartements du Louvre trois statues représentant les trois Muses grecques primitives, Mousa, Hymnis et Théa (la tête que vous voyez là est celle d’Hymnis,) et le triomphe éclatant que lui ont valu ces créations dont la beauté ne saurait être méconnue lui permettra enfin de rompre le