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— « Et d’abord, tu sais, toi, Aurélie, faudrait pas nous la faire à la pose ! »


LXXIV. — CONSEIL

Au mois de juin, tandis qu’ailleurs fleurissent les roses, derrière un cabaret situé dans une petite rue qui coupe la rue de la Gaîté à Montparnasse, les croque-morts sont attablés dans le jardin. Et c’est bien le jardin qui leur est propre, car il n’y pousse rien de vivant. Les bosquets y sont uniquement composés de lattes pourries, et contre le mur noir et suintant est appliqué un treillage également pourri auquel rien ne s’accroche, si ce n’est des toiles d’araignées. Sur la terre battue et par endroits effondrée, traînent des pots à fleurs cassés et des cadavres d’arrosoirs : que pouvaient-ils bien arroser du temps qu’ils existaient ?

La servante Eulalie, qui possède la confiance du maître de la maison, et qui, pâle, caduque et terrible, semble sortir d’une tombe, sert à ses hôtes ce qu’elle veut, et comme elle veut. En vidant les pichets violets et en s’escrimant contre des nourritures plus indestructibles que l’airain, les bonshommes noirs parlent femmes et racontent des histoires folâtres, mais sans que sur leurs visages disparaisse un instant le sérieux professionnel.

À côté d’eux est assis un comédien, si pauvre qu’il ne