Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/38

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vie comme d’une vieille pantoufle, est en même temps riche de trois millions, beau comme un dieu, fort comme un Turc, sans rival à l’escrime, étonnant dompteur de chevaux et nageur intrépide, soumettant les fleuves, fendant les tourbillons et coupant les herbes meurtrières qui l’arrêtent. Avec cela, sobre et chaste ; il ne fumait pas ; buvait de l’eau et vivait comme une fille. L’an dernier, il a épousé une petite mercière, et j’ai été son témoin.

Michel Gensomm, qui n’ennuyait personne de sa tristesse, était atteint d’une tristesse inguérissable, parce que, bien qu’il n’en parlât jamais, excepté à moi et très rarement, il ne pouvait du tout oublier, se consoler d’avoir perdu sa mère, et, après des années écoulées, sa douleur était telle qu’au premier jour. Mais quelle mère ! charitable, aumônière, à la fois énergique et tendre, vaillante aussi, car en 70, seule dans son château avec des serviteurs, elle fit le coup de fusil contre des tirailleurs hulans, qui n’entrèrent pas et rebroussèrent chemin, madame Marie Gensomm était fille du célèbre helléniste Laurain, membre de l’Institut. Comme elle devait travailler plus tard avec son mari, elle travailla, jeune fille, avec son père, copiant, comparant et rectifiant les textes, compulsant les scholies, corrigeant les épreuves, et elle était