Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/293

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êtes cruelle, madame ! Venez-vous me tuer tout à fait ?

— Oui ! j’ai été infâme, répondit humblement Sylvanie ; mais, je vous supplie, écoutez-moi, de grâce ! vous me chasserez après si vous voulez. Oh ! je le sais, j’ai été la cause de tous vos malheurs, mais j’étais folle. Je comprends à présent. Je sais bien que je n’étais pas digne d’être aimée par votre ange ! Mais, par grâce, madame, laissez-moi voir Raoul une heure, une minute si vous voulez, ou seulement entendre sa voix ! Je mourrai après s’il le faut. Mais l’entendre une dernière fois !

— Quoi, s’écria madame de Créhange, vous le croyez donc ici ! Vous ne savez rien ?

— Rien.

— Oh !

Madame de Créhange tendit à Sylvanie un papier froissé, flétri par les larmes. C’était une lettre écrite de Venise par Julien de Chantenay. Voici ce que lut, non sans frémir, madame de Lillers :

« À présent que vous avez pleuré vos larmes de sang, à présent que vous avez subi la plus abominable douleur qui puisse crucifier une femme et une mère, je sens bien que vous exigez de moi le récit devant lequel a jusqu’à présent hésité mon courage. Vous voulez savoir quelle a été la dernière heure de celui que nous pleurerons jusqu’à notre dernier souffle. Malheureux ! comment aurai-je la force de tracer ces lignes déchirantes ? La fièvre, la fièvre affreuse et lente qui brûlait la poitrine de Raoul, avait cessé, et avec elle ces agitations, ces fureurs, ces démences qui me désespéraient. Raoul n’était plus ce cruel malade que j’avais vu se lever de son lit, humide de sueur, pour se jeter dans une gondole en croyant poursuivre sa lâche maîtresse. Depuis huit jours, le calme était revenu, et Raoul savourait d’avance