Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/78

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Mais c’est ici qu’il faut placer l’historiette du peintre Abel Servais, mort d’une maladie de langueur à Nice, Nizza Maritta, le 20 mai dernier, à cette époque de l’année où le poëte s’écrie : « Voici le temps de respirer les roses ! » Je copie ici, pour expliquer la situation, un fragment d’une lettre écrite par Abel.

À Monsieur Edmond Richard, à Rome.

« …. Inutile donc de te raconter par quelle série de circonstances très-naturelles les grands portraits de Vestris et de mademoiselle Guimard, exécutés pour le ministère, m’ont valu mes entrées dans les coulisses de l’Opéra. Ce que je veux te dire, c’est que, moi aussi, je vais escalader le ciel de mon rêve ! Enfin, Edmond, moi qui ne pouvais comprendre l’Amour que serré dans mes bras et endormi sur ma poitrine ; moi qui voulais sentir battre le cœur de mes idoles et qui meurtrissais ma chair contre la pierre et le bronze de ces statues, je l’ai trouvée, Béatrix et Laure, cette conscience visible de mon génie, cette âme de ma pensée que tu me souhaitais et qui m’inspirera mille chefs-d’œuvre ! Je t’ai dit qu’elle est descendue du ciel hier même et qu’elle a treize ans : qu’importe ? car je me brûlerais la cervelle avant de lui laisser deviner cet amour ; elle sera toujours pour moi le céleste démon couronné d’étoiles qui éveille les lyres en marchant sur les nuées frémissantes ; divinité vers qui je tendrai mes mains silencieuses ! Devine, car je ne suis pas poëte ! Depuis que j’ai vu Emmeline, je comprends tout, je sais tout, mes yeux plongent à nu dans l’infini, je n’ai qu’à laisser courir sur la toile mes mains impatientes et à retrouver dans