Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/148

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tion de l’élément humain et de l’élément divin que consiste proprement la Tragédie.

Si l’on se pénètre bien de cette vérité, on comprendra combien il est puéril de se demander, comme on l’a fait si souvent, si la Tragédie est morte chez nous, si elle avait été en effet ressuscitée par Mlle Rachel, etc. Non-seulement la Tragédie est morte chez nous, mais la vérité est qu’elle n’y naquit jamais. Car, pour que nous eussions réellement des tragédies, il aurait fallu que nous fussions de la même religion que les héros, fils des Dieux, que mettaient en scène nos auteurs tragiques, et qu’un Chœur chanté exprimât les pensées communes au poëte et au spectateur. En réalité, les tragédies de Racine ont toujours au fond pour sujet les événements qui se passaient à la cour de Louis XIV ; et l’adoration de Louis XIV était le seul lien entre les spectateurs et lui ; mais c’est là une religion qui n’avait pas un grand avenir, et que le Roi-Soleil devait emporter dans sa tombe.

Qu’a donc, en résultat, fait le grand poëte Racine ? Des chefs-d’œuvre magnifiques, parfaits, immortels, dans un genre qui était destiné à mourir, même quand ces chefs-d’œuvre étaient destinés à vivre. Mais quand il écrivit Esther et Athalie, c’est-à-dire des tragédies dont le sujet