Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/65

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Travaillons ! — La chair gronde et demande pourquoi. — Je dors, je suis très-las de la course dernière ; Ma paupière est encor du somme prisonnière; Maître mystérieux, grâce! que me veux-tu? Certe, il faut que tu sois un démon bien têtu De venir m’éveiller toujours quand tout repose ! Aie un peu de raison. Il est encor nuit close; Va-t’en, tu reviendras demain, au jour, ailleurs. Je te tourne le dos, je ne veux pas ! décampe ! Ne pose pas ton doigt de braise sur ma tempe. La biche illusion me mangeait dans le creux De la main ; tu l’as fait enfuir. J’étais heureux, Je ronflais comme un bœuf; laisse-moi. C’est stupide. Ciel ! déjà ma pensée, inquiète et rapide, Fil sans bout, se dévide et tourne à ton fuseau. Tu m’apportes un vers, étrange et fauve oiseau Que tu viens de saisir dans les pâles nuées. Je n’en veux pas. Le vent, de ses tristes huées, Emplit l’antre des cieux; les souffles, noirs dragons. Passent en secouant ma porte sur ses gonds. — Paix là ! va-t’en, bourreau ! quant au vers, je le lâche» Je veux toute la nuit dormir comme un vieux lâche; Voyons, ménage un peu ton pauvre compagnon. Je suis las, je suis mort, laisse-moi dormir! — Nonl Est-ce que je dors, moi? dit l’idée implacable. Penseur, subis ta loi ; forçat, tire ton câble. Quoi ! cette bête a goût au vil foin du sommeil ! L’orient est pour moi toujours clair et vermeil. Que m’importe le corps! qu’il marche, soufl^re et meure î Horrible esclave, allons, travaille ! c’est mon heure. Victor Hugo. Insomnie. Les Contemplations. Livre III, xx. Voilà comment la Rime traite le poëie des Con- te?nplations lorsqu’il a l’outrecuidance de vouloir