Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/219

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sauvais pas, de faire ce qu’elle me demandait.

« Et je l’ai fait, mon cher. Je ne la sauvai pas. Je ne pus pas la sauver : elle refusa obstinément tout remède. Je dis ce qu’elle avait voulu, quand elle fut morte, et je persuadai… Il y a bien vingt-cinq ans de cela… À présent, tout est calmé, silencé, oublié, de cette épouvantable aventure. Beaucoup de contemporains sont morts. D’autres générations ignorantes, indifférentes, ont poussé sur leurs tombes ; et la première parole que je dis de cette sinistre histoire, c’est à vous !

« Et encore, il a fallu ce que nous venons de voir pour vous la raconter. Il a fallu ces deux êtres, immuablement beaux malgré le temps, immuablement heureux malgré leur crime, puissants, passionnés, absorbés en eux, passant aussi superbement dans la vie que dans ce jardin, semblables à deux de ces Anges d’autel qui s’enlèvent, unis dans l’ombre d’or de leurs quatre ailes ! »

J’étais épouvanté… — Mais, — fis-je, — si c’est vrai ce que vous me contez là, docteur, c’est un effroyable désordre dans la création que le bonheur de ces gens-là.

« C’est un désordre ou c’est un ordre, comme il vous plaira, — répondit le docteur Torty, cet athée absolu et tranquille aussi, comme ceux dont il parlait, — mais c’est un