Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/27

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Paris, où les barricades n’étaient pas dressées encore, avait un aspect sinistre et redoutable. Il était désert. Le soleil y tombait d’aplomb, comme une première pluie de feu qu’une autre devait suivre, puisque toutes ces fenêtres, masquées de leurs persiennes, allaient, tout à l’heure, cracher la mort… Le capitaine de Brassard rangea ses soldats sur deux lignes, le long et le plus près possible des maisons, de manière que chaque file de soldats ne fût exposée qu’aux coups de fusil qui lui venaient d’en face, — et lui, plus dandy que jamais, prit le milieu de chaussée. Ajusté des deux côtés par des milliers de fusils, de pistolets et de carabines, depuis la Bastille jusqu’à la rue de Richelieu, il n’avait pas été atteint, malgré la largeur d’une poitrine dont il était peut-être un peu trop fier, car le capitaine de Brassard poitrinait au feu, comme une belle femme, au bal, qui veut mettre sa gorge en valeur, quand, arrivé devant Frascati, à l’angle de la rue de Richelieu, et au moment où il commandait à sa troupe de se masser derrière lui pour emporter la première barricade qu’il trouva dressée sur son chemin, il reçut une balle dans sa magnifique poitrine, deux fois provocatrice, et par sa largeur, et par les longs brandebourgs d’argent qui y étincelaient d’une épaule à l’autre, et il eut le bras cassé d’une pierre, — ce qui ne l’empê-