Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/338

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cette géniture dont il avait l’orgueil… C’était un grand vieillard très sec, droit comme un mât de vaisseau, qui tenait altièrement tête à la vieillesse. Toujours vêtu d’une longue redingote de couleur sombre, qui le faisait paraître encore plus grand qu’il n’était, il avait extérieurement l’austérité du penseur ou d’un homme pour lequel le monde n’avait ni pompes, ni œuvres. Il portait, sans le quitter jamais, depuis des années, un bonnet de coton avec un large serre-tête lilas ; mais nul plaisant n’aurait songé à rire de ce bonnet de coton, la coiffure traditionnelle du Malade imaginaire. Le vieux M. de Mesnilgrand ne prêtait pas plus à la comédie qu’à personne. Il aurait coupé le rire sur les lèvres joyeuses de Regnard, et rendu plus pensif le regard pensif de Molière. Quelle qu’eût été la jeunesse de ce Géronte ou de cet Harpagon presque majestueux ; cela remontait trop loin pour qu’on s’en souvînt. Il avait donné (disait-on) du côté de la Révolution, quoiqu’il fût le parent de Vicq d’Azir, le médecin de Marie-Antoinette, mais ce n’avait pas été long. L’homme du fait (les Normands appellent leur bien leur fait ; expression profonde !), le possesseur, le terrien, avaient en lui promptement redressé l’homme d’idée. Seulement, de la Révolution, il était sorti athée politique,