Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/397

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dorsale deux cents fois par jour ! Sa beauté ne diminua pas. Elle résistait à toutes les avaries. Et, cependant, la vie qu’elle menait devait faire très vite d’elle ce qu’on appelle entre cavaliers une vieille chabraque, si cette vie de perdition avait duré.

— Elle n’a donc pas duré ? Tu sais donc, toi, ce que cette chienne de femme-là est devenue ? — fit Rançonnet, haletant d’intérêt excité, et oubliant pour une minute cette visite à l’église qui le tenait si dru.

— Oui, — dit Mesnilgrand, — concentrant sa voix comme s’il avait touché au point le plus profond de son histoire. — Tu as cru, comme tout le monde, qu’elle avait sombré avec Ydow dans le tourbillon de guerre et d’événements qui nous a enveloppés et, pour la plupart de nous, dispersés et fait disparaître. Mais je vais aujourd’hui te révéler le destin de cette Rosalba. »

Le capitaine Rançonnet s’accouda sur la table en prenant dans sa large main son verre, qu’il y laissa, et qu’il serra comme la poignée d’un sabre, tout en écoutant.

« La guerre ne cessait pas, — reprit Mesnilgrand. — Ces patients dans la fureur, qui ont mis cinq cents ans à chasser les Maures, auraient mis, s’il l’avait fallu, autant de temps à nous chasser. Nous n’avancions dans le pays qu’à la condition de surveiller chaque pas que