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j’avais déjà aimé. Je n’avais pas cette virginité de cœur que l’on garde parfois au milieu des désordres de la jeunesse. Des circonstances inutiles à rappeler avaient fait de mon premier amour une cruelle et longue souffrance, guérie à la fin, mais dont l’expression toujours présente affermissait la réflexion de mon esprit contre le danger des affections passionnées. Je pensais n’avoir plus rien de pareil à redouter. Dans toutes les liaisons que j’avais eues depuis, les sens, l’imagination, le caprice, la vanité m’avaient dominé, ensemble ou tour à tour, mais jamais l’amour n’était revenu effleurer mon âme. Au sein des intimités les plus ardentes et les plus tendres, elle était restée froide, inébranlable, presque calculatrice. C’est probablement cela, marquise, qui m’a valu cette réputation de roué que vous font les femmes dont on n’est pas assez épris. Je pensais qu’il en serait toujours ainsi. Je ne doutais pas que ma vie de cœur ne fût finie, lorsque la circonstance la plus inattendue et la plus simple vint me donner le plus éclatant démenti.

« Un soir, en sortant de l’Opéra, je rencontrai un de mes nombreux amis de cette époque qui m’invita à souper pour le lendemain. C’était le comte Alfred de Mareuil, que vous avez connu et qui est mort en duel, il y a cinq