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c’était une fille — une passion qui ressemblait presque à l’amour des femelles pour leurs petits. « Ah ! je l’aimerai — disait-elle — comme m’aima ma mère. » Je savais comment la duchesse, sa mère, l’avait aimée. De Mareuil me l’avait raconté ; elle-même m’avait confirmé cette histoire. Elle me ressuscita donc ces éperduments d’amour maternel qui étaient tombés convulsivement sur son berceau et qui avaient embrasé son enfance, libre et adorée. Elle, pourtant, comme la duchesse sa mère, n’avait point à prendre ce change sublime et cruel d’un amour contre un autre amour ; à reporter d’un être mort tous les sentiments de son cœur sur un enfant qui le rappelle. J’étais vivant, j’étais près d’elle, je l’aimais avec un délire plus fort que tous les orages qui passaient parfois entre nous. Mais, pour une âme comme la sienne, la passion maternelle se serait dégradée si elle avait pu tomber jusqu’à n’être qu’un dédommagement de l’amour. Non ! son sentiment pour sa fille ne relevait que de lui-même, comme celui qu’elle avait pour moi ; car elle n’était pas de ces femmes chez qui la mère tue tout ou diminue tout, quand elles sont mères. Elle avait le cœur assez grand pour deux.

« Ma chère marquise, les trente mois de l’existence de notre enfant passèrent avec la