Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/280

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toutes les femmes qu’il a compromises fussent ici. Ce serait vraiment drôle. Vous avez un binocle à qui rien n’échappe, vicomte. Cherchez et avertissez-moi, quand vous en verrez. »

Peut-être y étaient-elles, en effet ; parmi ces femmes du monde qui baissaient alors leurs longues paupières hypocrites sur leurs missels, peut-être s’en trouvait-il plusieurs que M. de Marigny avait eues, — comme l’aurait dit M. de Prosny, avec un sans-façon très convenable au moins dans ce cas. Elles ont parfois, les femmes du monde, une merveilleuse facilité d’oublier. Elles vous ont appartenu tout entières, et s’il advient qu’elles vous rencontrent, elles ne vous font pas même l’honneur de vous reconnaître. Elles restent froides, souriantes de ce froid sourire stéréotypé à leurs lèvres, monnaie banale qu’elles donnent à tous. Elles n’ont pas assez de sang dans les veines pour être trahies par une rougeur. Marigny, de l’autel où il se mariait, aurait pu apercevoir un cercle de ces femmes, oublieuses et naïvement impudentes, l’entourer comme les spectres de ses victimes entourent Richard III dans Shakespeare ; mais pour lui, pour Marigny, pour ce Richard III de la séduction, il n’y aurait eu ni remords, ni horreur, ni épouvante dans un tel spectacle ; car les cœurs qu’il avait tués se portaient fort bien.