Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/34

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quise. — Ce sera plus gai que toutes vos moralités. On irait plus souvent au sermon si on y disait les noms propres.

— Je ne sermonne point, ma chère. Pourquoi cette légèreté et cette injustice ? — dit Mme  d’Artelles sans fâcherie, mais tenant sa gravité et ne voulant pas s’en départir. — Pourquoi sermonnerais-je ? Je ne suis pas dévote. Jeune, je n’étais pas prude ; vieille, je ne me soucie pas d’être pédante. J’ai vécu à peu près comme vous, moins le bonheur dans le mariage que vous avez eu et que j’ai manqué. À cela près, nous avons appris la vie des mêmes maîtres. Nous avons vu le même monde. Nous avions les mêmes goûts et presque les mêmes sentiments. Cette fabuleuse chimère d’une amitié entre femmes et d’une amitié qui dure quarante ans en se voyant tous les jours, n’est-elle pas la preuve que nous différons de bien peu et que nos jugements sur toutes choses doivent infiniment se ressembler ? Ne puis-je donc m’étonner, chère amie, si, dans une grande occasion comme celle du mariage d’Hermangarde, nos manières de voir sur l’homme qu’elle épouse sont diamétralement opposées ; et au nom de notre amitié, au nom de l’intérêt de la petite, ne puis-je m’en affliger ? Ne puis-je en parler sans avoir l’air de faire un sermon ?…