Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/63

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qu’il tuait… Chaque fois qu’elle la rencontrait, elle épiait avec un intérêt aussi dissimulé que s’il avait été coupable, le progrès du mal qui la minait, mettant le sentiment partout où il y avait la maladie. Elle ne se doutait pas qu’elle aimait déjà… qu’elle caressait déjà les ailes d’épervier de la terrible Chimère. « Quand donc le verrait-elle aussi, cet homme qui tuait si bien les femmes ? » Elle n’avait pas peur de lui, mais elle éprouvait cette émotion chère aux intrépides qui inspirait les paroles de César, allant se faire tuer au Capitole, au moment où sa femme cherche à le retenir : « César et le danger sont deux lions mis bas le même jour, mais César est l’aîné et César sortira[1]. »

Ces troubles d’une âme romanesque durèrent tout le temps qu’il fallut pour que, s’il n’était pas complètement vulgaire, Marigny dût être un dieu pour elle au premier coup d’œil. Aussi le fut-il. Un soir, chez la duchesse de Valbreuse, il y avait beaucoup de monde et l’on dansait. La musique, le mouvement du bal, les conversations, couvraient la voix des domestiques qui annonçaient. La soirée était très avancée. Hermangarde, après plusieurs valses, s’était rassise près de sa grand’mère, et comme d’ordinaire, elle observait son drame vivant,

  1. Shakespeare.