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elle ; — il vient quand il veut ; il est libre. Qui se voit tous les jours après dix ans ?…

— Et dix ans qui n’ont pas été — dit le vicomte — d’une fidélité parfaite. » C’était le premier coup de dent de sa rancune ; il allait passer au second.

Cela ne l’irrita point. Elle ne répondit pas comme une prude : « Qu’en savez-vous ? » mais placidement, et avec cette mélancolie qu’ont les femmes qui ont cherché le bonheur et qui n’ont trouvé que l’amour :

« Lui ni moi, n’avons été fidèles. Notre liaison a été singulière, — ajouta-t-elle en rêvant tout haut ; car pourquoi aurait-elle dit ces choses au vieux Prosny ? — Nous nous sommes plus haïs qu’aimés !

— Alors, tant mieux ! — dit le vicomte, — car voici le dénoûment qui arrive, et je ne voudrais pas vous voir malheureuse. Vous savez sans doute le mariage de M. de Marigny ?

— Je le sais, vicomte, — fit-elle gravement, — mais pas par lui. »

Le vicomte étudiait cette tête de bronze. Un sillon de la foudre de beauté qui partait de l’émotion du cœur, y passa. Mais ce fut trop rapide pour être aperçu d’un observateur sans portée comme l’était M. de Prosny.

« Oui, je le sais, — reprit-elle, en portant vivement à sa bouche la main qu’elle avait