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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/47

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souffrir. Régénéré par le sentiment que lui inspirait Hermangarde, hasard inouï, coup de fortune qui aurait dû le faire trembler, — car tant de bonheur doit avoir son revers sans doute, — il s’abandonnait, avec l’impie sécurité du joueur, à vivre de la vie que lui envoyait la Destinée, sur cette vaste côte dont les brisants ne parlaient même pas de naufrage à l’esprit de cet homme heureux !

Ainsi, tous deux, Marigny et Hermangarde, avaient leurs raisons pour se trouver bien où ils étaient ; pour préférer à toutes les campagnes ce petit village de Carteret, que n’aimait pas madame d’Artelles et qui valait mieux que ses mépris. La comtesse avait dit le motif de son peu de goût pour le manoir de Carteret, moins commode et moins orné que le château de Flers, construit dans les terres et préservé par ses forêts des rafales du vent de l’automne. Comme une grande partie des femmes de son temps, madame d’Artelles, hors l’amour, n’avait dans l’esprit aucun genre de romanesque. Les fortes beautés de la nature, ses aspects variés, sa simple nudité, parfois sublime, n’affectaient pas cette personne du xviiie siècle, qui n’avait rapporté des expériences de sa vie que beaucoup d’esprit de société et cette bonté qui reste toujours, quand on a eu l’âme tendre dans sa jeunesse. Elle ne voyait donc pas, elle ne pou-