Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/21

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née qui reprend sa cadette ; vous savez bien que l’abbé, qui est allé en Angleterre, ne croit pas aux revenants.

— Et pourtant, sur mon âme ! c’est un revenant que j’ai vu, dit l’abbé avec un sérieux profond. Oui, mademoiselle, oui, ma sœur, oui, Fierdrap ! oui, regardez-moi maintenant de tous vos yeux, écarquillés à vous en donner la migraine, c’est comme j’ai l’honneur de vous le dire ; je viens de voir un revenant… inattendu, effrayant, mais réel ! trop réel ! Je l’ai vu comme je vous vois tous, comme je vois ce fauteuil et cette lampe…

Et il toucha le pied de la lampe du bout de sa canne, un cep de vigne, qu’il alla déposer dans un coin.

— Tu aimes diablement la plaisanterie pour que je te donne le plaisir de te croire, l’abbé ? dit le baron de Fierdrap, quand l’abbé revint à la cheminée et se planta, les mollets et le dos au feu, devant le fauteuil qui lui tendait les bras.

— Était-ce vraiment le Père Gardien ?… reprit mademoiselle Sainte toute transie, car elle cuisait de curiosité et se sentait pourtant le froid d’un glaçon dans les épaules.

— Non ! répondit l’abbé, qui s’arrêta, l’œil sur les feuilles du parquet ciré et miroitant, comme s’arrête un homme qui médite ce qu’il va dire, et qui hésite avant de le risquer.