Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/240

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mademoiselle de Percy, était détruite, radicalement détruite, mais non sa force. Il était encore vigoureux, malgré l’épuisement de vingt ans de folie, qui auraient consumé tout homme moins robuste. Il était vêtu tout en molleton bleu, avec des boutons d’os, et un foulard de Jersey au cou, comme un matelot, et c’était bien cela ; il avait l’air d’un vieux matelot, qui attend à terre et qui s’y ennuie. Le médecin me dit que l’âge venant et les furies ayant été remplacées par de la démence, le désordre le plus profond et le plus irrémédiable s’était fait dans ses facultés ; qu’il se croyait gouverneur de ville, âgé de deux mille ans, et que certainement je n’en tirerais pas un éclair de lucidité. Mais je n’y allai point par quatre chemins, et, d’emblée, je lui dis brusquement :

— C’est donc vous, chevalier Des Touches !

Il se leva de son arceau, comme si je l’eusse appelé, et m’ôtant sa casquette de cuir verni, il me montra un crâne chauve et lisse, comme une bille de billard…

— C’est singulier, dit le docteur, je n’aurais jamais pensé qu’il eût répondu à son nom, tant il a perdu la mémoire !

Mais moi que ceci animait :

— Vous souvenez-vous, lui dis-je à bout portant, de votre enlèvement de Coutances, monsieur Des Touches ?…