Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/48

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de langage un hommage de respect que méritait cette vieille lionne de sœur !

L’éloge de l’abbé fut comme un boute-selle pour l’amazone de la Chouannerie… L’agitation n’était jamais bien loin, d’ailleurs, de cette nature sanguine, perpétuellement ivre d’activité sans but, depuis que les guerres étaient finies. Elle repoussa impétueusement sur le guéridon, qui supportait la lampe, le canevas de cette tapisserie dans laquelle elle clouait les impatiences de son âme, depuis qu’elle ne clouait plus les hérons et les butors, tués par elle à la chasse, sur la grande porte des manoirs ; et se levant bruyamment de sa bergère, elle se mit à marcher dans le salon, malgré ses gouttes, l’œil enflammé et les mains derrière le dos, comme un homme :

— Le chevalier Des Touches à Valognes ! dit-elle comme se parlant à elle-même, bien plus qu’à ceux qui étaient là. Et, par la mort-Dieu ! pourquoi pas ? ajouta-t-elle, car elle avait rapporté des vieilles guerres, au clair de lune, des jurons et des mots énergiques qu’elle ne disait pas d’ordinaire, mais qui revenaient à ses lèvres quand quelque passion la reprenait, comme des oiseaux sauvages et effrontés reviennent à quelque ancien perchoir abandonné depuis longtemps. Après tout, ce n’est pas impossible ! Un homme qui a fait la guerre des Chouans et qui