Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/92

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lui payait par ce petit mot de mépris son interruption, à cette pauvre et benoîte brebis du bon Dieu, qui avait bêlé hors de propos, — cette Aimée, qui peut très-bien croire à ceux-là qu’elle voit dans son cœur, a toujours été et est encore pour nous, monsieur de Fierdrap, un mystère, plus profond et plus étonnant que le mystère de son fiancé. Lui, n’a fait que paraître et disparaître. Quoi donc d’étonnant à ce que nous n’en ayons jamais rien su ?… Mais nous avons vécu vingt-cinq ans avec elle, et nous n’en savons pas sur elle beaucoup davantage ! Quand cet inconnu, resté pour nous un inconnu, vint au château de Touffedelys, il fut précisément amené par notre chevalier Des Touches. Aimée connaissait le chevalier. Elle l’avait vu à plusieurs reprises dans l’Avranchin, chez une de ses tantes, madame de la Roque-Piquet, une vieille chouanne qui ne pouvait pas chouanner comme moi, car elle était cul-de-jatte, mais qui chouannait à sa manière, en cachant, le jour, des chouans dans ses celliers et dans ses granges, pour les expéditions de nuit. Aimée avait retrouvé le chevalier à Touffedelys, et moi qui, dès lors, avec ma laideur cramoisie, n’avais qu’à observer l’amour… dans les autres, j’avais craint parfois, mais sérieusement, qu’elle ne l’aimât… Du moins, toujours quand le chevalier était là…