Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/93

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tournure de guerrières la femme écrasée, assise devant elles, pâle, fatiguée, blessée cent fois à la même place, saignante de volupté sous la robe traînante comme d’une flèche que tu n’avais pu arracher ? N’as-tu pas eu pitié de mes pâleurs ? N’as-tu pas eu pitié de la main amaigrie qui soutenait ce front qui fut beau et où les souillures des lèvres et de l’existence ont effacé les mâles couleurs de la jeunesse ? Hélas ! je pensais que j’avais été comme ces jeunes filles, qui me regardaient sans comprendre comment on pouvait être en même temps jeune comme elles et d’une vieillesse qui n’était pas celle de leurs mères, et je pensais aux montagnes du pays où je fus élevée, à ce Jura où je marchais nud-pieds, forte, belle, heureuse et pure. Ah ! cette pensée était navrante. Ma jeunesse m’apparaissait comme un songe que je ne recommencerais pas. Tu ne pouvais pas me le rendre, mais me l’eusses-tu rendu, Altaï, que je l’aurais refusé ! Tu me parlais de me purifier, mais tout le temps qu’on a un souvenir du passé, c’est la chose impossible. On ne voudrait pas, ô misérable ! n’avoir pas existé comme on a vécu.