Page:Barbey d’Aurevilly - Le Cachet d’onyx, Léa, 1921.djvu/14

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cet Othello inflexible. N’ayez pas peur de cette belle création d’un poète ; n’ayez pas peur de cette admirable nature d’homme, si riche en tendresses jusque dans ses fureurs, et à qui Desdemona pardonne en mourant comme par reconnaissance de l’amour qu’il lui avait donné. Savez-vous que personne n’aima plus que cet homme qui faisait oublier un père chéri, à cheveux blancs, sur le bord de la fosse, à une fille respectueuse et tendre ; qui l’avait prise intrépidement dans ses bras, elle défaillante sous le poids d’une malédiction terrible, et qui la rendit si heureuse que jamais le souvenir de cette malédiction ne troubla une heure de la vie de cette femme timide ? Ne le maudissez pas, Maria, mais plaignez-le plutôt ! plaignez-le plus que Desdemona, qui vous fait pleurer à chaudes larmes. Son infortune est plus grande que celle de Desdemona qui crie : Ne me tuez pas ce soir ! Vous me tuerez demain ! qui s’est sentie écrasée sous la calomnie, sous les injures d’Othello. Desdemona est l’heureuse dans ceci : l’infortuné, c’est Othello !

Il n’est pas besoin d’être Africain, d’avoir du soleil liquéfié sous une peau noire et plein ses larges veines ; il n’est pas besoin d’avoir du lion et du tigre dans sa nature pour être