Page:Barbey d’Aurevilly - Le Cachet d’onyx, Léa, 1921.djvu/66

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longtemps encore le sable aride, quand il n’y a plus que du sable à en soulever.

Qui ne sait pas que tous nos amours sont de la démence ? que tous nous laissent à la bouche la cuisante absinthe de la duperie ? et l’expérience ne l’avait-elle pas appris à Réginald ? Eh bien, de tous ses amours passés et de tous ses amours possibles, le plus insensé était encore ce dernier. Qu’espérait-il en le nourrissant ? Dans six mois cette jeune fille serait portée au cimetière. D’ailleurs y avait-il en elle des facultés aimantes ? Saurait-elle jamais ce que c’est que l’amour ? Ce que ce mot-là signifie, alors que tant de femmes restent hébétées devant ce sentiment qu’elles font naître ? Angles de marbre et d’acier que toutes ces questions, contre lesquelles Réginald se battait avec fureur. Mais son amour s’en augmentait encore. Toujours l’amour grandit et s’enflamme en raison de son absurdité.

Quel contre-sens dans ses idées d’artiste ! « Ah ! si du moins elle était belle — se répétait-il quand il ne la voyait pas, — je m’expliquerais mieux cet amour ; mais qu’y a-t-il de beau dans des yeux inexpressifs, des traits amaigris, des formes qui s’évanouissent ». — Et, se reprenant tout à coup : — « Mais si ! si ! ma Léa, tu es belle, tu es la plus belle des