Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/167

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Mais autre hypothèse de M. Renan ! L’enfant humanitaire avait (toujours dans l’époque métaphore) des forces que n’a plus l’homme individuel de notre temps. « Il serait trop rigoureux, dit-il encore, d’exiger du linguiste la vérification de la loi d’onomatopée dans chaque cas particulier. Il y a tant de relations imitatives qui nous échappent et qui frappaient vivement les premiers hommes !… » « L’intelligence la plus claire et la plus pénétrante, ajoute-t-il ailleurs, fut le partage de l’homme au commencement », ce qui est vrai pour nous qui croyons à la Chute, ce qui est faux pour lui qui n’y croit pas et qui invente aujourd’hui un progrès abécédaire où rien n’est acquis ; où, plus on recule, plus on avance, et où il faut remonter à l’origine de tout pour avoir seulement quelque chose !

Et ce n’est là que la première brume d’hypothèses que l’auteur de l’Essai sur le langage oppose à la réalité sévère de la métaphysique de M. de Bonald, en si magnifique conformité avec le récit de Moïse. Mais le brouillard, sans être plus saisissable pour cela, s’épaissit, et bientôt on s’y perd, notions et langue même ! En effet, on doute, en lisant M. Renan, s’il dit réellement ce qu’il veut dire et s’il croit ce qu’il affecte de savoir ! Le primitif de M. Renan n’est point Adam, car le risible mythique a depuis longtemps décapité l’histoire avec son couteau à papier ! Il n’y a pas d’individus pour lui, mais des collections. Il n’y a pas d’Homère, il n’y a pas de Lycurgue. Caligula philologique à faire mourir de rire qui voudrait que l’humanité n’eût qu’une tête pour la lui couper, si cette tête portait un nom propre ! Donc,