Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/16

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C’était sa robe prétexte intellectuelle. Aujourd’hui, tout jeune homme qui s’imagine écrivain, pond son petit roman. Quoi d’étonnant, du reste ? Le Génie, comme le Char de triomphe sur lequel la Poésie, cette dupe de ses propres images, s’obstine si bêtement à le faire monter, soulève, en passant, la poussière des imitateurs. Or, le génie le plus grand du siècle est un romancier. Comme tout le monde, à un certain moment, voulut imiter Ronsard et Desportes, et plus tard Corneille et Racine, tout le monde veut maintenant imiter Balzac.

Mais, particularité sur laquelle il faut insister ! Balzac devait venir tard… Depuis que la langue française a dit distinctement son premier mot dans le monde, elle a eu toujours des poètes, des historiens et des philosophes. Elle n’a pas eu de romanciers. Ce n’est pas la Philosophie, qui est d’hier, comme le disait, avec cette large ouverture de bec qu’on lui connaît, M. Cousin, cette pie voleuse philosophique ; — il parlait apparemment de la sienne prise à Descartes, à Reid, à Hegel, et il oubliait ces grands théologiens qui ne désossaient pas la leur de l’idée de Dieu, — non, ce n’est pas la philosophie, mais c’est le Roman qui est d’hier dans l’histoire littéraire. En cherchant bien, dans le Moyen-Age, trouverions-nous un seul romancier ? Le Roman, tel que nous le concevons, nous autres modernes, devait être nécessairement le fruit tardif des civilisations excessives. N’est-ce pas l’épopée dernière des peuples chez lesquels l’individualité reprend la place qu’elle avait à l’origine des sociétés et lutte par les mœurs avec ce qu’on appelle d’un air si suprêmement pédantesque : des Institutions. Un roman comme Daphnis et Chloé n’est qu’une bucolique dont un génie chrétien peut faire, au bout de quinze cents ans, une autre bucolique, intitulée Paul et Virginie ; mais ce n’est pas assurément une telle composition, — pas plus que ces récits naïfs du Moyen-Age rajeunis par le pauvre marquis de Tressan, qui peuvent rappeler en quoi que ce puisse être, ces créations de l’Imagination et de l’Observation tout ensemble, qui commencent à La Princesse de Clèves et