Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/183

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une force de talent vierge ; il ne s’est pas donné seulement la peine de naître, il s’est donné celle de bien autre chose ! Non, il n’est pas original et même il ne veut pas l’être, puisque sa tentative est de continuer l’œuvre d’un autre et de la continuer avec les formes du talent que cet autre avait, Mais s’il n’est pas original, il n’est pas imitateur non plus ! Comme la plupart des imitateurs, il ne se masque pas avec le visage grimé d’un autre ; mais par un privilège de l’esprit, de cet esprit plus subtil que tous les vif-argents et tous les phosphores, il se coule dans la peau d’un autre, et il ne l’empaille pas ! Il ne la gannalise pas ! Au contraire, il y met la vie, et une vie plus intense qu’il n’y en eut jamais. Le vieux Diderot du XVIIIe siècle est vivant et plus vivant dans cette œuvre d’un homme du XIXe siècle que dans la sienne, et la différence qu’il y a entre les deux œuvres de ces Ménechmes, à distance, n’est pas seulement une différence de cent ans !

Aussi, lorsque je dis « Ménechmes », je me trompe. Il faut être précis, quand il s’agit d’un phénomène… M. Jules Janin, quand on y regarde, n’est pas le Ménechme de Diderot. S’il l’était, il ne serait que cela et il n’aurait jamais été davantage, car on se modifie, mais on ne s’arrache pas la figure. On peut se la brûler, comme Vautrin, se percer les lèvres et les joues comme Zopire. On peut être l’Origène de son propre nez, en le coupant ; mais l’angle facial, ce squelette du visage, on le porte forcément toujours devant son cerveau, et pour le faire céder il faudrait écraser le cerveau même ! Eh bien ! M. Jules Janin n’est pas, littérairement, l’angle facial de Diderot.