Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/274

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sans fécondité viennent passer leurs petites ardeurs. Le roman, — nous l’avons dit souvent, — est la forme fatale et dernière des vieilles littératures qui finissent, — ainsi que les hommes, — par des contes, comme elles avaient commencé.

Rien donc d’étonnant à cette précipitation des esprits vers le roman, cette forme actuellement populaire de la pensée littéraire du dix-neuvième siècle, mais rien d’étonnant non plus à son avilissement par sa popularité… Il en arrivera du roman (et dans un avenir très-prochain) ce qui est arrivé de la tragédie. La tragédie a eu ses jours d’empire et même de despotisme, comme le roman de notre temps. Autrefois, tout ce qui se croyait une destinée littéraire dans le cerveau faisait sa tragédie, identiquement comme aujourd’hui on fait son roman ou son volume de contes, car le conte, c’est le roman en raccourci…

Malheureusement, les popularités ne sont jamais bien longues, et l’amour des foules est mortel. Ce n’est pas un Racine qu’il faudrait maintenant pour ranimer la tragédie morte. Ce serait un Racine doublé d’un Corneille, et encore y parviendrait-il ?… Un jour, l’imagination publique, qui, ce jour-là, se monta la tête et fut bonne fille, essaya de ce galvanisme de désespoir quand M. Ponsard donna sa Lucrèce. Ce n’était que M. Ponsard, et la tragédie tuée resta tuée. Elle était morte, doit-on dire, sous l’étreinte d’esprits imbéciles qui n’eurent que de lâches embrassements ? Et il en sera de même du roman, si le train qu’on mène continue. Nous en sommes présentement, en matière de romans et de contes, et si près du grand Balzac encore, aux Luce de Lancival et aux Carion de Nisas.