Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/289

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œuvre, qui n’ont pour titre que le nom d’un personnage, il n’introduise dans la grande famille de l’observation humaine des types qu’on invoquera toujours. Clarisse, n’est-ce pas le type et l’idéal de la prude, et de la prude anglaise ? et Lovelace (le roman de Richardson eût pu s’appeler très-bien Lovelace) n’est-il pas l’idéal de la séduction impitoyable, comme on l’entend, chez cette grande race de flibustiers ? Ce n’est pas non plus simplement par le titre que La Dame au manteau rouge rappelle la Femme en blanc : elle la rappelle aussi par la curiosité qu’elle inspire, quoique cette curiosité soit d’un ordre différent. Le livre de M. Armand Pommier est d’un intérêt très-passionné, et même très-haletant, tout le temps que, le livre dure, mais on se repent presque de l’avoir éprouvé à la fin, parce que cet intérêt n’est nullement justifié par la grandeur du résultat qu’on attendait. Le dernier mot ne valait pas la peine d’être dit.

C’est là une faute, une faute immense. Il ne faut jamais tromper l’imagination, car elle s’en venge toujours d’une manière cruelle. Elle est comme l’homme brave qu’on a surpris et à qui on a voulu faire peur. Que M. Armand Pommier se rappelle Anne Radcliffe, cette vigoureuse bâtarde de Shakespeare, qui avait tant de noirceur et de frisson vrai dans le talent. La malheureuse n’a-t-elle pas joué toute sa vie à l’attrape-minette de l’horreur ? Eh bien ! elle y a attrapé son génie et sa gloire, et l’imagination qu’elle a trompée ne lui a jamais pardonné !

Je sais bien, il est vrai, que M. Armand Pommier court une autre bordée. Il veut bien avoir son terrible, comme Anne Radcliffe, mais il ne l’a pas pour nous dire,