Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/36

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calomnier sa mémoire en l’honorant d’une bonne action dernière, malgré l’exil volontaire dans lequel la vanité trouve moyen de s’encadrer encore, lorsque tous les autres cadres ont été brisés, enfin malgré des travaux… considérables, si vous comptez le nombre des volumes, et qui n’ont jamais (malheureusement) été interrompus, M. Eugène Sue n’a pas fait, en mourant, le bruit auquel il avait presque le droit de s’attendre. Il est tombé dans le bruit de la mort de Béranger et il s’y est perdu, D’un autre côté, est-ce défiance ou ingratitude ? le parti auquel M. Sue s’était donné et dont il fut longtemps le coryphée, n’a encore jusqu’ici effeuillé que de très-petites fleurs sur sa tombe. On y cherche en vain des tournesols.

Les y mettra-t-il ? Les grosses fleurs de l’admiration s’épanouiront-elles sur celle mémoire, comme elles s’épanouirent sur sa vie ? Car M. Sue a été admiré. Il fut une fortune, et il passa pour une puissance. Aujourd’hui qu’il n’est plus et que la popularité de l’auteur du Juif errant est fort diminuée, lui fabriquera-t-on une gloire de meilleur aloi et de plus de résistance ?… Les grands fondeurs… en carton pâte de la Critique contemporaine élèveront-ils une statue à un écrivain qui a bien assez écrit pour que beaucoup d’esprits le croient un colosse ? Il en est un, en effet, — un colosse de papier, trempé dans de l’encre empoisonnée. La Démocratie, qui place le droit dans le nombre, y place peut-être le génie aussi. A ce compte-là, M. Eugène Sue, qui a produit une grande quantité d’ouvrages, serait un des plus puissants esprits du XIXe siècle. Mais alors pourquoi donc ne le dit-elle pas ?…