Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/390

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Si le livre où le Réalisme le plus dénué d’invention, et qui s’en vante, peint toujours la réalité la plus terne, la plus sotte ou la plus abjecte, si ce livre inouï a le malheur d’être vrai, c’est la plus terrible, et pour un homme de cœur la plus douloureuse accusation qui puisse être jamais lancée contre ce colosse sans âme qu’on appelle, avec une ironie dont on ne se doute pas, « la sainte Russie » dans les ukases impériaux ! Mais si ce livre n’était pas vrai, — pas vrai même dans le sentiment d’observateur de celui qui en a tracé les pages, — que mériterait, dans la mémoire de ses compatriotes, l’homme qui a osé l’écrire, pour avoir tenté, satirique impie, de déshonorer si abominablement son pays ?…


II

Les Ames mortes, en effet, sont le déshonneur universel de la Russie, et jusque de sa nature extérieure, que le réaliste Gogol insulte par les descriptions qu’il en fait et les indignes objets auxquels il la compare. Ces Ames mortes, qui veulent être un roman de mœurs gigantesque, devaient nous montrer la Russie sous tous ses aspects. Malheureusement l’auteur, qui, comme tous les littérateurs de son pays, imite perpétuellement quelqu’un ou quelque chose, et qui, comme Michel Cervantès, avait appelé poëme son roman, est mort au dix-neuvième chant de ce poëme qui n’est pas un poëme,