Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/397

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui nous empêcherait de douter de la vérité et de la moralité de son livre contre son pays ?…

Il l’a dit un jour à Pouchkine : « Nous connaissons tous fort peu la Russie. »

Mais alors, si vous ne la connaissez pas, peintre de mœurs, pourquoi en parlez-vous ?… Ou c’est un tâtonnement audacieux et superficiel que votre affreux livre des Ames mortes, dans lequel vous la vilipendez dans tout ce qui la constitue comme nation et comme société, ou c’est un conte à dormir debout ! Cependant c’est avec ce conte-là ou ce tâtonnement que Gogol fut accusé de vouloir allumer une guerre servile.

Mais ce Spartacus littéraire était-il autre chose, au fond, qu’un poëte russe qui avait lu Byron et qui s’était inoculé l’ironie byronienne, à larges palettes, alors que le poète anglais joue, dans Don Juan et dans ses poésies politiques, au jacobin et au carbonaro. Singe de Byron, singe de Rousseau, combinant leurs deux misanthropies, comédien, menteur, détraqué, bousingot, tel a été ce Gogol. Sa rage d’ironiser, de ridiculiser, d’aplatir son pays, fut de l’imitation encore, mais elle fut surtout la rage de faire de l’effet, qui finit par faire souffrir et par épouvanter de son effet même ceux qui l’ont !

Écoutez cette plainte fatiguée : « Toutes les personnes, écrit Gogol à un de ses amis, toutes les personnes qui lisent, en Russie, sont persuadées que l’emploi que je fais de ma vie est de me moquer de tout homme que je regarde et d’en faire la caricature… » Bientôt cette société qu’il avait blessée par cette suite de caricatures qui forment les divers Chants de son poème des Ames mortes, les fonctionnaires de cette Chine