Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/86

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on sent qu’il s’est attendu, cette chose héroïque dans un temps où tout le monde est si pressé. Nous croyons beaucoup à ces hommes qui ont mis la main sur leurs facultés et qui les ont forcées à se taire longtemps. Le Silence est père de la Pensée. Mais le charme est-il volontaire ? Peut-il être une conquête de la méditation ou de l’étude ? Et si M. Flaubert en avait eu le don, ne l’aurait-il pas montré dans ce premier ouvrage, fruit d’une jeunesse mûrie, et serions-nous réduits à le regretter ?…


II

Madame Bovary est une idée juste, heureuse et nouvelle. Ce n’est pas un roman, comme nous en faisons toujours dans la première partie de notre vie, car le roman étant le plus souvent de l’observation personnelle appliquée aux choses de sentiment, nous voulons tous avoir plus ou moins l’expérience des choses du cœur. Que de gens pour qui le roman qu’ils écrivent n’est qu’une confidence à la troisième personne ! Quand la mode était aux tragédies, faire une tragédie n’était qu’une prétention littéraire ; mais écrire un roman, c’est une prétention littéraire, doublée d’une autre, bien plus profonde. Ce sont les mémoires de la fatuité. La Madame Bovary de M. Flaubert n’est point les mémoires de la sienne. La personnalité peut y tenir sa place, car on ne sait pas assez combien la personnalité d’un homme est près de lui quand on la croit le plus loin ; mais M. Gustave Flaubert est de la véritable