Page:Barbey d’Aurevilly - Portraits politiques et littéraires, 1898.djvu/13

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de la langue française une rosse, en attendant qu’on la crève. Logique d’un siècle anthropomorphite et idolâtre, qui n’a d’autre religion que celle de l’homme et de ses œuvres. Où l’on ne fait plus de Jésus-Christ qu’un homme, on doit faire de Shakespeare un Dieu !

Certes ! on ne m’accusera pas de vouloir rabaisser Shakespeare. Mes preuves sont faites à cet égard, et précisément à propos de la traduction de François-Victor Hugo, j’ai témoigné suffisamment de mon admiration pour cet immense génie, mais qui, pour être un immense génie, n’est pas, après tout, l’infini 1 Après Shakespeare, il y a en Angleterre des hommes qu’on peut nommer, et que Shakespeare, mis à côté, ne souffle pas comme des chandelles. Il y a Milton, Byron, Richardson, dont la Clarisse n’est pas seulement le chef-d’œuvre d’un homme, mais un chef-d’œuvre de l’esprit humain. Il y a enfin Walter Scott, le Shakespeare du roman dans la langue de Shakespeare, et chez nous, dans notre langue à nous, sans remonter jusqu’à la brochure de Stendhal, dont les noms mis l’un à côté de l’autre (Racine et Shakespeare) ne jurent pas si effroyablement pourtant d’être accouplés, nous avons aussi notre Shakespeare. D’aucuns peut-être l’appelleront Victor Hugo. Mais nous, non ! Nous l’appellerons hardiment Balzac.

Or, voilà ce que, sans chauvinisme (je vous prie de le croire), j’aurais voulu rappeler à un pays qui fête les étrangers et qui oublie les siens… Un écrivain