Page:Barbey d’Aurevilly - Portraits politiques et littéraires, 1898.djvu/17

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viar qui l’aiment ; des situations et des scènes tirées effroyablement par les cheveux ; et, au milieu du jet des plus grandes beautés et des mille éclairs du sublime, des choses affreusement laborieuses, pénibles, entassées, qui indiquent dans leur auteur un effort inutilement surhumain… Les différences que je vois entre ces deux toutes-puissances d’imagination incomparables, qui ont créé, l’une dans le roman, l’autre dans le drame, des œuvres aussi grandioses et aussi multipliées que les dix-neuf volumes de la Comédie humaine et les douze volumes du Théâtre de Shakespeare ne sont donc pas des différences essentielles. Elles tiennent à toute autre chose qu’à la nature ou à la force virtuelle de cette faculté d’imagination qui était en eux.

Et, en effet, il serait, croyez-moi, très possible, en opposant, page à page et beauté à beauté, la Comédie humaine au Théâtre de Shakespeare (chose facile, non ici, mais dans un cours public où l’on aurait tout le champ qu’il faudrait pour cela), de prouver que Balzac a, tout autant que Shakespeare, l’invention ou le ressouvenir des impressions éprouvées, qui est souvent toute l’invention humaine ; l’observation et l’intuition, qui n’est guères que l’observation foudroyante ; la passion et la couleur, qui en est la fille ; et, pardessus tout, l’esprit, l’esprit enfin qui couronne et parfume le génie de sa fleur la plus légère et de son parfum le plus pénétrant ! Balzac a tout cela autant que