Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/112

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Du point qu’habitaient ces jeunes gens à Bayeux, il y a environ vingt-deux lieues, et ces vingt-deux lieues étaient interrompues, entre Isigny et Saint-Lô, par un bras de mer, large et profond, qu’on appelle le Vey, et sur lequel on n’avait point bâti encore le pont actuel qui a coûté tant de peine, et qu’un jour la mer détruira.

À cette époque ce bras de mer se passait en bac, et c’était un dangereux passage ! La mer, resserrée dans cet endroit (un goulet pour elle !), devenait, à certaines marées, d’une méchanceté furieuse et folle, et tellement folle que les bacs n’osaient plus se hasarder à la passée, si intrépides que les Normands soient à la mer !

Or, c’était par une de ces marées que Néel de Néhou et Gustave d’Orglande arrivèrent à la Maison-Blanche, l’auberge du Vey, où ils déjeunèrent et envoyèrent quérir le pilote du bac et ses fils, lesquels attendaient que la mer fût basse et retirée pour remettre le bac à flot.

Pressés d’être le soir même à Bayeux, à l’heure de la fête, les deux jeunes gens voulaient passer à quelque prix que ce fût. Mais ni pour or, ni pour argent, ni par prières, ni par menaces, ils ne purent décider les gens du bac à se risquer sur cette mer enragée qui faisait trembler la population de ses bords.

Néel et Gustave la regardaient, mêlés aux