Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/115

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le voyez, il avait ses raisons pour aimer Charles XII. C’était un Charles XII sans royaume, sans armée, sans batailles ; un Charles XII plus grand que le cadre dans lequel Dieu l’avait placé.

Devant l’amour qu’il se surprenait dans le cœur, il était comme devant ce bras de mer du Vey où il avait laissé un ami. Que laisserait-il dans ce nouvel abîme ? Instruit par une première catastrophe qui pesait sur sa vie, il n’avait plus cette confiance qui, déflorée, ne refleurit plus sur nos âmes, et qui fleurissait sur la sienne, quand il entra, ne doutant de rien, dans cette mer funeste : mais il ne reculait et ne s’arrêtait pas plus devant son amour que devant le gouffre. Le désir de cet être passionné, tout en élan comme le peuple auquel appartenait sa mère, et qui formait autrefois l’avant-garde de l’Europe contre l’Asie, ne pouvait être abattu par le premier malheur, par la première leçon de la destinée. De plus, si le cruel chagrin qu’il avait ressenti de la mort de Gustave d’Orglande avait, ainsi qu’on peut l’admettre, rendu son âme plus apte à l’amour, l’espèce de remords gardé de cette mort dont il avait été la cause était une raison pour se jeter à corps perdu dans cet amour. En s’y jetant, il se séparait de lui-même. Il rompait par une préoccupation nou-